HISTOIRE ET CIVILISATION SELON ARNOLD TOYNBEE
Toynbee
a produit une théorie générale de l'histoire et de la civilisation. L'histoire comparée est
son domaine de prédilection. La question se pose de savoir si celui-ci doit
être rangé dans la catégorie des historiens ou des sociologues. Selon Robert
Bierstedt, la question « n'est pas de savoir si A Study of History appartient
à l'histoire ou à la sociologie mais seulement de savoir si c'est une bonne
sociologie ou une mauvaise sociologie »1". Interrogé à ce sujet par
Matthew Melko dans les années 1960, il se définissait de lui-même comme un
sociologue
Biographie
Fils
d'Harry Toynbee et frère de Jocelyn
Toynbee, Arnold Joseph Toynbee était le neveu
d'un grand historien de l'économie, Arnold Toynbee, avec lequel il est parfois
confondu. Né à Londres, Arnold junior a fait ses études
au Winchester College et
au Balliol College.
Il y a commencé sa carrière d'enseignant en 1912, qu'il a ensuite poursuivi à
l'Université de Londres, à
la London School of Economics,
et à l'Institut royal des affaires
internationales (RIIA) à Chatham House. Il a été
directeur des études au RIIA (1925-1955)
et professeur de recherche d'histoire internationale à l'Université de Londres.
Il
a travaillé au British
Foreign Office pendant la Première Guerre mondiale,
et fut délégué à la Conférence de la paix de Paris en 1919. Avec son assistante
de recherche, Veronica M. Boulter, qui fut aussi sa seconde femme, il était
coéditeur du rapport annuel du RIIA Revue des affaires internationales.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, il a à nouveau travaillé au Foreign Office et a participé aux
pourparlers de paix après la guerre.
Il
a été marié une première fois avec Rosalind Murray (en),
fille de Gilbert Murray ;
ils ont eu trois fils, dont Lawrence et Philip Toynbee (en).
Puis il a divorcé et s'est marié avec Veronica Boulter en 1946.
L'œuvre
de réflexion de Toynbee sur la genèse des civilisations est inclassable. Son
approche peut être comparée à celle de Oswald
Spengler dans Le Déclin de l'Occident.
Il n'adhère pas cependant à la théorie
déterministe de Spengler selon laquelle les
civilisations croissent et meurent selon un cycle naturel.
Toynbee
présente l'histoire comme l'essor et la chute des civilisations plutôt que
comme l'histoire d'État-nations ou
de groupes ethniques.
Il identifie les civilisations sur des critères culturels plutôt que nationaux.
Ainsi, la « civilisation occidentale »,
qui comprend toutes les nations qui ont existé en Europe occidentale depuis
la chute de l'Empire romain,
est traitée comme un tout, et distinguée à la fois de la « civilisation
orthodoxe » de Russie et des Balkans comme
de la civilisation gréco-romaine qui
a précédé.
Une
fois que les civilisations sont délimitées, Toynbee présente l'histoire de
chacune d'entre elles en termes de défis et de réponses. Les civilisations
surgissent en réponse à certains défis d'une extrême difficulté et alors que
les « minorités créatrices » conçoivent des solutions pour réorienter
la société entière. Défis et réponses peuvent être physiques. Ce fut, par
exemple, le cas lorsque les Sumériens exploitèrent
les marais insalubres du sud de l'Irak en
organisant au Néolithique les habitants dans une société capable de mener à
bout des projets d'irrigation de grande ampleur. Ils peuvent être sociaux,
lorsque par exemple l'église catholique a résolu le chaos de l'Europe
post-romaine en enrôlant les nouveaux royaumes germaniques dans une communauté
religieuse unique. Quand une civilisation arrive à relever des défis, elle
croît. Sinon elle décline.
« Les
civilisations meurent par suicide, non par meurtre. »
La
minorité dominante ne peut construire l’imposant appareil de l’État universel
sans imposer son autorité et exiger la soumission : son action est donc
basée sur la force et la répression. En conséquence d’une civilisation qui a
cessé de séduire pour contraindre se forment deux types de prolétariats :
un prolétariat intérieur constitué des sujets de la minorité dominante et un
prolétariat extérieur constitué des peuples primitifs ou barbares sur lesquels
la civilisation exerce un attrait. Toynbee souligne également le rôle essentiel
de la religion dans la séparation des prolétariats : le prolétariat
intérieur crée une religion supérieure, ou Église universelle, tandis que le
prolétariat extérieur manifeste son nationalisme par l’intermédiaire de
religions dérivées ou de l’hérésie. En fait, face à l’action coercitive de la
minorité dominante, l’Église universelle représente l’échappatoire du
prolétariat intérieur quand le prolétariat extérieur répond par la violence. Il
en résulte un affrontement prolongé opposant l’État universel aux bandes de
guerriers barbares.
Toynbee
avait une grande admiration pour Ibn
Khaldoun et en particulier pour le Muqaddima, préface de l'histoire
universelle de Khaldoun. Il admirait aussi énormément le prophète Baha'i, Baha'Ullah,
tout en mettant en garde les Baha'is, tout comme John Charles Taylor, des
dangers d'un fonctionnement sous la forme d'une organisation et non pas à titre
individuel (« each individual has to place the plaques »)
conformément au message du Prophète[citation nécessaire].
La
théorie des cycles, point commun entre Spengler et
les auteurs traditionalistes comme Julius
Evola, est formellement critiquée par
Toynbee, qui lui reproche son aspect mécanique et néo-déterministe. Pourtant,
« ruse de la raison » dans le langage de Hegel,
il apparaît que la théorie des cycles resurgit dans la réflexion mythologisante
et spiritualiste de Toynbee, en particulier par son adhésion à une vision
platonicienne de cette genèse. La présence englobante de la théorie
traditionnelle du Yin et du Yáng renforce
cette ruse de l'esprit. Toynbee se refuse de la même façon à un chiffrage
chronologique des trois périodes de la genèse d'une civilisation. Voir dans
l'histoire l'incarnation de rythmes dictés par des principes métaphysiques qui
qualifient le temps avant de le quantifier le rapproche ainsi malgré tout de la
vision mécanique et donc déterministe dont il cherche pourtant à se distancier
car dès lors qu'on admet dans le raisonnement des principes à la source de la
succession des événements, il en découle naturellement que ces mêmes événements
soient déterminés et déterminables à l'avance, la précision chronologique étant
réduite à un détail technique finalement (c'est la fondation même de la vision
cyclique du temps partagée par les astrologues et que l'on retrouve
effectivement chez Platon, minutieusement décrite dans le Timée :
"Dieu résolut donc de faire une image mobile de l'éternité ; et par
la disposition qu'il mit entre toutes les parties de l'univers, il fit de
l'éternité qui repose dans l'unité cette image éternelle, mais divisible, que
nous appelons le temps.").
Classification
des civilisations selon Toynbee
·
Civilisations épanouies
o Civilisations
indépendantes
§ Sans
relation avec d'autres civilisations
§ Andins
§ Non
« affiliées » à d'autres civilisations
§ Égéens
§ Chinois
§ « Affiliées »
à d'autres civilisations
§ Syriens //
Suméro-accadiens, Égyptiens, Égéens et Hittites
§ Helléniques //
Égéens
§ Indiens //
Indusiens
§ Africains //
Égyptiens puis Islamiques puis Occidentaux
§ Chrétienté
orthodoxe // Syriens et
Helléniques
§ Occidentaux //
Syriens et Helléniques
§ Islamiques //
Syriens et Helléniques
o Civilisations
satellites
§ Mississippi ← Amérique centrale
§ "Sud-Ouest" ← Amérique centrale
§ Andins
du Nord ← Andins
§ Andins
du Sud ← Andins
§ ? Élamites ←
Suméro-accadiens
§ Hittites ←
Suméro-accadiens
§ ? Urartu ←
Suméro-accadiens
§ Iraniens ←
Suméro-accadiens puis Syriens
§ ? Méroé ←
Égyptiens
§ Coréens ←
Chinois
§ Japonais ← Chinois
§ Vietnamiens ←
Chinois
§ ? Italiques ← indo-européens apparus
en Italie au IIe millénaire av.
J.-C.
§ Asie du Sud-Est ←
Indiens (puis Islamiques en Indonésie & Malaisie)
§ Tibétains ←
Chamanes puis bouddhistes du Tibet et des régions voisines
§ Russes ←
Chrétiens orthodoxes puis Occidentaux
§ Nomades ←
civilisations sédentaires voisines des steppes eurasiennes et africaines
·
Civilisations avortées
o Pré-syriens →
éclipsés par les Égyptiens
o Chrétienté nestorienne →
éclipsée par les Islamiques
o Chrétienté monophysite →
éclipsée par les Islamiques
o Chrétienté de
l'Extrême-Occident →
éclipsée par les Occidentaux
o Scandinaves →
éclipsés par les Occidentaux
o État-cité occidental du monde médiéval → éclipsé par la civilisation occidentale moderne
« La
classification de Toynbee, très historique et faisant une large place aux
grandes religions, agents de palingénésie, a pu être critiquée dans son esprit
comme dans son détail, notamment quand elle aboutit à individualiser des
civilisations "régionales" se réduisant à un peuple, mais elle
fournit finalement une morphologie et une typologie méthodologique du phénomène
des civilisations, et conduit à une rare vision de synthèse planétaire de la métamorphose
des sociétés auxquelles beaucoup d'historiens rendent encore hommage. »
— Roland Breton, Géographie
des civilisations, Paris, 2, 1991, 127 p. (ISBN 978-2-13-043707-9, BNF 36652908), chap. 2317
Influence
Les
idées de Toynbee ont connu une certaine mode (il a fait la une de Time
Magazine en 1947). Elles ont pu être une
des causes premières du climat intellectuel de la guerre
froide. Toynbee a probablement eu plus
d'influence sur les penseurs asiatiques, par exemple au travers de ses
dialogues avec Daisaku Ikeda,
président du mouvement bouddhiste Soka Gakkai International. Quelques-uns de ses
concepts comme celui d'« État successeur », et dans une moindre
mesure celui de « prolétariat externe » peuvent être retrouvés dans
les travaux d'autres auteurs[Qui ?].
Histoire et religion selon Toynbee: https://www.universalis.fr/encyclopedie/arnold-joseph-toynbee/4-histoire-et-religion/)
Si le
processus suivi par chaque civilisation est analogue et suit une trajectoire
cyclique, cette répétition périodique n'exclut pas un mouvement plus général,
progressif, un sens de l'histoire qui se définit, en termes
métaphysico-religieux, comme un rapport à la transcendance. Dans cette perspective,
les grandes religions (et pas seulement le christianisme) ne sont pas de
simples phénomènes de civilisation, mais les manifestations privilégiées de la
marche spirituelle de l'humanité.
Dans
les derniers volumes de A
Study of History, les présupposés théologiques de la pensée de
Toynbee s'affirment nettement. Les civilisations n'ont d'importance, en
définitive, que par leur apport religieux. En ce sens, l'apparition des Églises
universelles, qui correspond à la désagrégation des civilisations, peut être
pour ces dernières l'occasion d'une transfiguration et d'une palingénésie,
c'est-à-dire d'un passage du plan historique au plan métahistorique. Dans la
plus pure tradition augustinienne,
Toynbee assigne donc à l'histoire la fonction de réaliser les plans de la
Providence divine et d'œuvrer à l'instauration de la Cité de Dieu.
Ce
glissement, de plus en plus affirmé, d'une problématique qui se voulait
scientifique à une méditation s'appuyant sur une foi religieuse syncrétiste,
n'a pas manqué d'être dénoncé. D'une façon générale, l'accueil des historiens à
l'œuvre de Toynbee a été extrêmement critique. Les erreurs et les lacunes sont
nombreuses, la notion de civilisation n'est jamais définie rigoureusement, et
la civilisation gréco-romaine joue trop visiblement un rôle de paradigme. Mais
il faut surtout dire que la plupart des concepts clés de Toynbee, défi-réponse,
mimèsis, retrait-retour, nemèsis de la créativité, breakdown, ont une signification
essentiellement morale et s'appliquent trop facilement aux cas les plus divers
pour avoir une valeur heuristique. L'utilisation journalistique qui en a
souvent été faite est révélatrice des séductions, mais aussi des limites de
cette « philosophie de l'histoire ».
Critiques
Certains
critiques reprochent à Toynbee l'importance qu'il attribue à la religion
par rapport aux autres aspects de la vie lorsqu'il brosse le portrait des
grandes civilisations. À cet égard, le débat rejoint celui, plus actuel, sur la
théorie de Samuel Huntington sur
le "choc des civilisations".
L'approche
idéologique de Toynbee a été critiquée par Pieter
Geyl : « les spéculations
métaphysiques sont érigées au rang d'histoire ». Toynbee engagea un
dialogue public publié en 1949 (et réédité en 1968) : L'Empreinte
du passé : pouvons nous la déterminer ?.
Karl
Popper dans Misère de l'historicisme (1944) dénonce la vision
historiciste, la méthode "scientiste" que Toynbee utilise dans A
Study of History.
Raymond
Aron3, Gilles
Deleuze4, entre autres, furent de ses lecteurs
attentifs.
Arnold
Joseph Toynbee, né le 14 avril
1889 et mort le 22 octobre 1975, est un historien britannique. Son
analyse en douze volumes de l'essor et de la chute des civilisations, Étude
de l'histoire (A Study of History), parue entre 1934 et 1961, est une
synthèse de l'histoire mondiale, une « métahistoire »
basée sur les rythmes universels de la croissance, de l'épanouissement et du
déclin. |
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